Chapitre II - L'appel du Maître

Chapitre II

L'appel du Maître

Depuis l'acte abstrus d'Azshadie, quelques jours s'étaient écoulés. Chargée de tâches diverses, Amorra ne vit pas le temps passer. Le jour, elle aidait et tenait compagnie à sa sœur tandis que la nuit, elle s'entraînait afin d'être prête pour l'appel de son nouveau mentor. N'ayant que quelques heures de sommeil par jour, elle ne montrait par contre aucun signe de défaillance. Ce n'était pas pour rien que sa famille la surnommait l'Esprit d'Acier.

Têtue et robuste, elle n'abandonnait pas ses buts aisément. Par contre, son courage et son entêtement sans limites pouvaient parfois affecter son jugement ainsi que sa sagesse. Rien ne pouvait l'arrêter à moins qu'on ait touché à son point faible, une faille dont tout être possédant une âme peut être victime : la peur. C'est donc ce qui l'avait poussée à ne pas attaquer Serondel dans le désert, ce qui était assez anormal pour elle car elle exécrait les démons. Par contre, à présent, elle ressentait une certaine identification envers lui ainsi qu'une confiance incompréhensible et nuancée.

C'était une soirée tranquille dans la forêt d’Alranis. Le ciel luisait d'un turquoise strié d'une teinte parme, ce qui n'était pas
rare dans le territoire des Elfes Lunaire. On pouvait percevoir, dans les forêts habitées par ce peuple, comme une beauté extrême aux yeux des voyageurs. Ceux qui n’avaient jamais eu l'occasion de les voir étaient ébahis par celle-ci, tel un pirate qui découvre le plus merveilleux des trésors existants. Malheureusement, ce territoire splendide était extrêmement surveillé et protégé par ses gardiens éternellement aux aguets. Ceux-ci étant méfiants et très durs envers les intrus, n'autorisaient pas l'accès à leur forêt à n'importe qui. Même leurs alliés n'avaient pas cette chance, à moins d'avoir une permission spéciale.

Comme n'importe quel autre peuple, il y avait des restrictions dans certains groupes. Le peuple des Elfes Lunaire comptait quatre groupes principaux : la Garde des Cieux, principalement composée de femmes robustes et protectrices, le Cercle des Ombres, composé d’un mixte des deux sexes pratiquant les vocations de scout ainsi que de rôdeur, l'Ordre Naturel, composé principalement d'hommes pratiquant la voie druidique ainsi que de femmes pratiquant la voie de chasseuse, tout deux enseignées par les êtres de la forêt et, finalement, l’Ordre du Temple Astral, composé presque entièrement de femmes pratiquant le métier de prêtresses qui se vouaient aux divinités de leur peuple.

N'ayant aucun chef suprême, ce peuple des forêts aux cieux pourpres obéissait à celui ou à celle en tête de sa division. Ayant chacun ses règles et ses valeurs, cette séparation causait parfois des conflits entre les quatre chefs qui se partageaient la tâche de guider leur groupe tout en favorisant les trois autres. Amorra était une jeune sentinelle de la Garde des Cieux, menée par la guerrière Arinya AstralBlade, qui avait le grand titre de commandante de cette division.

S'assoyant aux abords d'une rivière sereine, Amorra tenta de chasser toutes les images du capharnaüm de ses pensées pour méditer un peu. Se calmer était un des nombreux domaines dans lesquels elle était incapable de réussir aisément. Habituellement toujours prête pour de l'action, elle avait beaucoup de difficulté à se détacher de la réalité qui l'entourait.

- Allez, concentre-toi, se dit-elle à haute voix.

Malgré les efforts qu'elle déployât, elle réussit à peine à se détendre. Quand elle put finalement cesser de penser aux diverses embuscades qui pourraient se manifester derrière elle, une petite main très féminine vint se poser sur son épaule droite ainsi qu'une autre sur celle de gauche. Entêtée, Amorra refusa de se laisser déconcentrer et ne bougea pas.

- Tiens donc, Amorra qui relaxe. C'est nouveau, dit une voix qui lui était familière d'un ton moqueur.

Amorra ignora le commentaire dérangeant et grogna. Cette voix appartenait à sa sœur Azmoonda. Celles-ci se ressemblaient énormément à l'exception de leur teinte de peau ainsi que de leurs symboles naturels qui décoraient leur visage. La constitution d'Amorra était plus robuste et costaude que celle de sa sœur qui utilisait l'arc au combat.

- Allez, cesse cet entraînement insensé, dit Azmoonda qui s'assit derrière sa jeune soeur pour plonger ses mains dans la chevelure d'une teinte bleu nuit de la guerrière qui grogna à nouveau.

- Tu as toujours adoré ce geste pourtant! ajouta la chasseuse dont le visage affichait un rictus amusé.

Amorra fit volte-face et fixa sa sœur d'un regard sévère, les bras croisés.

- Tu penses me faire peur avec ton air de gamine qui boude ? questionna Azmoonda d'un ton narquois.

Secouant la tête en signe de négation, Amorra remarqua à quel point sa soeur lui ressemblait physiquement mais en plus âgée. Elle pouvait presque se percevoir à travers elle, mais en étant équipée d'une armure de guerrière au lieu d'un habit d'archer en maille. Azmoonda avait un regard plus tendre et serein tandis que celui d'Amorra était plus sérieux et discipliné. Telle était la voie d'une guerrière.

- Lomendel n'est toujours pas rentré? demanda Amorra en oubliant la tristesse éprouvée par sa sœur face à son amoureux disparu.

Après avoir remarqué le visage heureux de sa sœur qui devint soudainement attristé face à la question qui lui avait été posée,
Amorra baissa la tête lentement vers le sol pour éviter d'avoir un contact avec les yeux de sa sœur.

- Ne te sens pas coupable, dit Azmoonda d'un ton rassurant. Je suis habituée à son absence maintenant.

- Comme à celle d'Azshadie, rétorqua Amorra d'un murmure sévère et quasi-inaudible.

Celle-ci avait un regard à la fois dur et blessé. Elle semblait nier sa tristesse par la colère. Azmoonda le remarqua aisément en observant l'expression faciale de sa sœur.

- Azshadie est une cause désespérée. Laisse-la faire. Elle a choisi son destin. Si elle décide de changer, elle le fera et nous le saurons.

Après avoir dit ces paroles, Azmoonda donna une accolade à sa jeune sœur en la serrant contre elle. Après lui avoir fait des caresses au dos, celle-ci la relâcha.

- Je dois y aller à présent, dit-elle en souriant faiblement. Amorriana doit s'impatienter.

La jeune mère se releva et partit en direction d'où elle était venue Azmoonda avait nommé sa fille Amorriana parce qu’elle
affectionnait énormément sa sœur. Elle l'avait d'ailleurs choisie comme marraine. Amorra en était honorée et s'était juré qu'elle serait digne de ce titre et qu'elle agirait comme protectrice de l'enfant. Des séries de souvenirs, d'images à ce sujet traversèrent l'esprit d'Amorra. Mais le panorama de pensées innombrables qui dominaient celui-ci fut interrompu par une voix nuancée, qui semblait venir de loin.

- Mon apprentie, éveille-toi, dit la voix d’un ton long et traînant.

Il fallut une volonté assez puissante pour permettre à Amorra de se connecter à nouveau à la réalité. Elle s'accrocha à la voix qui
résonnait par intermittence dans sa tête. Celle-ci s'effilochait en devenant de plus en plus faible jusqu'à ce qu'Amorra reprenne conscience d'où elle était. Ouvrant les yeux lentement, elle ne fit aucun geste. Son corps immobile tel une montagne, celle-ci regarda droit devant elle.

- Serondel ? appela-t-elle d'un ton faible et subtil.

- C'est bien moi, répliqua le démon de sa voix sombre en se manifestant hors de sa cachette dominée par l'ombre.

Celui-ci n'était pas vêtu de la robe qu'il portait lors de sa visite surprise mais de son armure imposante qui avait ébahie Amorra
dans le désert. Heaume à la main, il fixa Amorra d'un regard sévère en lui tendant sa main munie de griffes crochues. Celle-ci l'empoigna solidement et se releva pour faire face à son interlocuteur qui, par la suite, laissa sa main échapper à la sienne.

- Il est temps, dit-il en la fixant de ses yeux menaçants. Où est ta monture?

- Tarys ?

Serondel hocha de la tête.

- Va la chercher. Nous discuterons de ton entraînement en chemin.

Amorra se tut et obéit. Après avoir fait demi-tour, elle adopta une cadence rapide pour ne pas prendre trop de temps à revenir. Elle ne voulait pas irriter son nouvel entraîneur dès la première journée de son entraînement. Chez elle, il n'y avait aucune trace de sa sœur ni de sa nièce. C'était mieux ainsi. D'un sifflement court mais fort, elle appela sa monture qui ne devait pas être loin. Comme prévu, celle-ci émergea de la forêt quelques secondes plus tard. En pleine charge, la bête s'arrêta brusquement face à sa maîtresse en émettant un miaulement d'enthousiasme.

Amorra sourit face au son du félin. Mais sa joie se transforma en expression neutre démontrant son sérieux. Tarys regarda les yeux de sa maîtresse et se pencha vers le sol afin de lui permettre de la monter plus aisément. Celle-ci enfourcha sa monture.

- Amorra? appela une voix qui lui était familière.

Cette voix était probablement celle d'Azmoonda. Ne perdant pas une seconde de plus, celle-ci donna l'ordre à Tarys de se mettre en route en lui tapotant le cou de sa main. Amorra partit en essayant d'ignorer les remords qu'elle éprouvait en laissant sa sœur seule sans lui dire au revoir ni où elle allait. Ces remords disparurent rapidement, car Amorra savait qu'elle allait revenir plus tard en soirée.